[Recit] Shinghitai

Ma pièce maîtresse sur l'univers de Guild Wars (si on excepte les Charlots font la Tyrie mais heu... c'est un autre style). Le récit s'attarde sur le destin d'un jeune homme issu de la meilleure académie d'assassins de Cantha.


SHINGHITAI


Introduction :


La source d'un grand pouvoir est toujours un mystère. Le don n'a rien d'une bénédiction sans arrière-pensée. Il passe par une profonde réflexion et une compréhension parfaite de son fonctionnement, de ses contreparties et de l'âme du porteur. L'erreur la plus courante consiste à croire que le don est naturel. La suffisance, l'égoïsme, l'intransigeance entraînent le mal et la corruption du pouvoir. Celui qui perçoit ses capacités comme une chose éphémère prête à s'envoler peut en tirer le plein exercice. Pas de force physique prodigieuse sans un caractère solide. Pas de réflexes sans confiance. La maîtrise vient à force de travail et de chute. L'homme de passage ne peut prétendre à quoi que ce soit. Qui sacrifierait sa vie pour les autres ? Qui choisirait de mettre de côté ses rêves pour une tâche dont il ne sent pas le destinataire ? Un tel pouvoir tombe du ciel, frappe n'importe qui, n'importe où et pratiquement personne ne parvient à relever le défi. Ceux qui réussissent sombrent souvent

Sachez que la morale passe avant l'épée. Le coeur avant le corps. L'esprit est votre arme principale. Le reste est affaire d'entretien. Sans volonté, même le physique le plus éprouvé n'arrivera à rien. Vous échouerez systématiquement. Peu importe le niveau d'entraînement. Votre travail demandera une concentration exceptionnelle. C'est pourquoi votre première année sera entièrement dédiée à la méditation, à l'usage des sens. Vous connaîtrez votre être dans ses moindres recoins. Et je vous prie de croire que les exercices militaires vous paraîtront enfantins en comparaison. Développez votre intuition, votre instinct, votre sens critique. Nous nous reverrons dans un an ou plus jamais.

Kyoshiro sortit lentement la dague de son fourreau. Même au plus près de sa cible, le geste serait passé inaperçu. Il se tenait sur une branche pour le moment, masqué par le feuillage, la nuit et la couleur sombre de son costume. L'oeil humain ne pouvait le repérer. Seul un oeil interne en était capable. Mais combien de personnes à Cantha possédait la faculté de confondre l'élite de l'école Shinghitai ?

Le palanquin avançait doucement sur le chemin de terre reliant la grande route au château seigneurial. L'escorte jetait des coups d'oeil inquiets dans les ténèbres, torches à la main. Se déplacer de nuit était très risqué. Un mal nécessaire pour gagner à temps les enceintes de pierre où devait se tenir la réunion entre les trois plus grands propriétaires de la région. Une alliance visant à menacer l'empereur. Ces trois-là pensaient le berner. La présence de Kyoshiro prouvait le contraire. Il sauta et se réceptionna à la cime d'un autre arbre. Les samouraïs sursautèrent. Un oiseau probablement. L'assassin hulula. Une chouette... mauvais présage. Inutile de s'attarder. La tension était palpable. Perdre son sang-froid était le meilleur pas vers la défaite. Kyoshiro ferma les yeux, paume de la main droite devant son visage. Il récita une courte prière. Puis il s'élança.

Un des deux samouraï fermant la marche entendit le bruissement de quelques feuilles. Il était seul ! Un projectile se ficha dans sa gorge avant qu'il puisse crier. L'assassin bondit par-dessus le palanquin et abattit sa dague sur le troisième membre de l'escorte. Le quatrième arborait une expression de pure terreur. Il ne réalisait même pas vraiment. Serrant les dents, il sortit son katana. Il défendrait son seigneur jusqu'au bout. En réalité, il n'eut pas le temps de bouger. L'assassin combla la poignée de mètres qui les séparaient comme par magie. La lame était déjà plantée dans son coeur. Le samouraï s'effondra. Les porteurs furent occis à leur tour. Un travail froid, propre et précis. Le tueur s'évanouit aussi vite qu'il était apparu. Le seigneur gisait dans son palanquin. Une aiguille, lancée dès le début du combat, était fichée dans sa tempe.

Ah, Shinghitai !

Je les avait dévoré, à l'époque du magazine FGW

Tu avais eu l'intégralité de l'histoire via le mag ?

Ça devient lassant... J'ai beau chercher une remarque à faire, je ne vois pas. Et ce début est probablement un des meilleurs.

Ce qui me plait particulièrement, ce que j'essaye actuellement dans mon récit d'ailleurs, c'est ta capacité à si bien rendre les sentiments comme les scènes d'actions, les environnements comme les réflexions des personnages. Ta plume s'adapte à tous les styles, et ça donne une explosion de couleurs et de sensations vraiment jouissives pour le lecteur.

Bravo !

Il me semble que c'était allé jusqu'au 11-13, dans le mag

Elindor a écrit:

Ça devient lassant... J'ai beau chercher une remarque à faire, je ne vois pas. Et ce début est probablement un des meilleurs.

Ce qui me plait particulièrement, ce que j'essaye actuellement dans mon récit d'ailleurs, c'est ta capacité à si bien rendre les sentiments comme les scènes d'actions, les environnements comme les réflexions des personnages. Ta plume s'adapte à tous les styles, et ça donne une explosion de couleurs et de sensations vraiment jouissives pour le lecteur.

Bravo !

Hihi, te lasse pas trop, parce qu'il compte quelques chapitres celui-ci ^^
J'écris beaucoup d'instinct si tu veux savoir. Je visualise les scènes de façon presque cinématographique et j'essaye de les décrire. L'émotion c'est la musique qui me l'apporte. Je trouve un morceau ou un album en adéquation avec ce que je veux faire et je me laisse porter.

Ulrik Brisetete a écrit:

Il me semble que c'était allé jusqu'au 11-13, dans le mag

Réjouis-toi, tu auras droit à l'intégralité de l'aventure ce coup-ci

Tu n'as jamais lu la conclusion de Shingitaï ?

Oh oui, rejouis toi car ce texte est une pure merveille qui s'achève en apothéose !

Pour ma critiques sur tout tes textes, je n'ai rien à dire à part plagier une réplique de l'auteur du Trône de Fer :

"Tes écrits sont des diamants dans un ocean de zircon"

Il va me faire rougir...


Chapitre 1 : Kanae Sabata


Kyoshiro s'agenouilla et baissa les yeux, masque à la main. La pièce était petite. Une simple bougie l'éclairait d'une faible lueur. A moitié recouvert par la pénombre, un homme de grande taille observait l'assassin de son oeil étincelant. Son aura forçait le respect. Il émanait de lui une force intimidante. Ses gestes avait néanmoins une étrange douceur, une sérénité et une beauté indéniable. Cet homme ne faisait rien d'inutile.

"Maître, commença Kyoshiro, le seigneur Nagita a été tué"
" Bon travail" répondit l'intéressé d'une voix calme et ses mots planèrent longtemps dans le silence de la pièce.

Le garçon admirait Idetoshi Yaguma, grand maître de l'école Shinghitai et plus grand assassin du royaume. Il continuait après dix ans à ressentir une forme de malaise. Un sentiment inexplicable qui le dérangeait au plus haut point. Mais il le gardait pour lui.

"Kanae a rempli sa mission, tout comme toi. Vous faites la fierté de l'empereur"
"Nous sommes ses obligés"

Kyoshiro se releva, salua le maître puis quitta la pièce. Un serviteur referma le panneau de bois et de feuille de riz. Yaguma restait des jours entiers là-dedans. Sans boire ni manger aurait juré Odori. Du haut de ses vingt ans, il formait avec Kanae, la plus jeune paire d'assassin que l'école ait jamais formé. Ses talents étaient exceptionnels. Il s'était toujours demandé pourquoi. Ce qu'il avait fait pour les mériter. Les familles des assassins impériaux étaient pris en charge, logées et nourries. Il n'avait pas pu laisser filer une telle occasion de subvenir à leurs besoins. Grâce à ses dons, les pénibles travaux des champs n'étaient qu'un mauvais souvenir. Kanae, à l'inverse, provenait d'une lignée de grands guerriers. Elle avait accédé au rang d'assassin d'élite pour des raisons bien différentes. Prêtresse, ça n'était pas vraiment son truc. La fierté jouait un rôle primordial dans ses motivations. Kyoshiro soupira. Ce qu'elle pouvait être insupportable...

Car Odori détestait tuer malgré le travail qu'il effectuait. Un moyen de survie. Un mal nécessaire. Et elle ne ratait jamais une occasion de le titiller là-dessus. Au moins, elle avait arrêté de le traiter comme un bouseux... ça n'était pas si mal.

Quant aux autres, ils détestaient Kyoshiro. Un paysan si élevé sur l'échelle sociale était une aberration. L'éternelle ritournelle de l'intolérance humaine. Eux ne voyait que le pouvoir et le prestige, interdits aux basses castes. Ils ne comprenaient pas que Kyoshiro n'en tirait aucun plaisir. Ces assoiffés lui faisaient l'impression d'une bande de démons s'entredéchirant pour une proie trop petite. Kanane était différente. Méprisante mais plus prisonnière de son éducation que réellement mauvaise. Il n'avait décelé en elle aucune joie manifeste à l'idée d'ôter la vie. Elle le faisait avec une précision et une efficacité sidérante. Rien de plus. Dieu qu'elle était belle avec ses longs cheveux noirs et son visage fin et élancé. Des yeux de jais presque aussi profonds que ceux de maître Idetoshi. Un ange de la mort... Kyoshiro était endurant et solide comme un roc. Kanae ne faisait pas un bruit, ne laissait aucune trace. Chacun de ses meurtres se terminaient comme un mauvais rêve, une sensation aussi fugace qu'un clignement de paupières. Il était d'ailleurs à peu près le seul à pouvoir discerner ses mouvements. Il se frotta la joue. Une vilaine cicatrice la barrait, souvenir d'un jour d'entraînement. Il n'oublierait pas le sourire qu'elle avait. Une supériorité affichée sur les lèvres. La comprendrait-il un jour ?

Kysohiro ôta le haut de sa tunique, sa musculature accentuée par le jeu d'ombre et de lumière. Il entama une série d'exercices afin de ne pas laisser son corps refroidir trop brutalement. Le vide se fit lentement dans son esprit. Puis il sentit un contact léger sur son ventre. Deux bras noués autour de sa taille.

Kanae.

Elle s'était glissé subrepticement dans son dos, le menton posé sur son épaule gauche.

"Ne te fatigues pas, tu sais parfaitement que tu ne m'arrives pas à la cheville..."

Le bout de sa langue courut lentement le long de la cicatrice. Elle disparut en riant. Tel un fantôme. Kyoshiro se versa de l'eau pour chasser la sueur. Allongé sur son futon, il éteignit la bougie d'une brève expiration. Décidément, cette fille était un complet mystère.

miam, la petite Kanae me plait déja

magnifique compliment Tabris, amplement mérité cependant.

Et un fan de Kanae, un !


Chapitre 2 : Le bras droit de l'empereur


L'école était sur le pied de guerre. Dans la cour, élèves et professeurs formaient un surprenant ballet. Quelque chose se tramait ou s'était déjà produit. Kyoshiro conserva son calme. Il prit ses affaires, s'équipa avec célérité et avança en direction du bâtiment principal. Tout autour de lui, Shinghitai bourdonnait comme un nid de guêpes. Les plus jeunes commençaient à paniquer. Il le sentait à leur attitude, le voyait à leurs regards. Futori le rejoignit. Un garçon plus âgé et d'une froideur incroyable. Son sens de l'analyse n'avait pas d'égal mais il semblait l'avoir troqué contre son coeur. Ses cheveux longs étaient tressés et tirés en arrière, l'ensemble maintenu par un élastique. Des arcades effacées laissaient toute latitude au miroir gelé de son âme. Futori n'était pas une mauvaise personne. Il se bornait à calculer et à décider selon des schémas logiques. Un ninja utile mérite d'être sauvé. Un ninja blessé...

Kanae attrapa Kyoshiro par le bras et l'entraîna vers les appartements de maître Idetoshi.

"Nous n'allons pas avec les autres"
"Que..."
"Nous sommes chargés d'une mission spéciale. Bouge-toi, bon sang !"

Kyoshiro s'exécuta sans poser de question. L'assassin retrouva la petite pièce si familière, en pleine lumière cette fois. Chose rare. Le maître les toisait d'un air grave. Ses yeux empreints de dureté se posaient sur eux telle une chape de plomb. Yaguma était vraiment immense, moitié réalité et moitié illusion. Il illustrait parfaitement son enseignement sur la force de l'esprit. Un roc.

"Ecoutez-moi" fit-il.

Kyoshiro et Kanae posèrent genou à terre en signe de respect. Ils burent les paroles et ne purent cacher leur surprise à l'écoute de ce qui suivit.

"Un chef de clan, Shiro Tagatchi vient de se rebeller contre l'empereur. Il a quitté la cour avec une partie de l'armée. Nous le soupçonnons de fomenter un coup d'Etat. Ce traître nous a berné de puis trop longtemps. Il n'a pas agit par colère. Il savait ce qu'il faisait. Plusieurs hauts dignitaires du royaume se sont ralliés à sa cause. Des seigneuries se déchirent. Je vous ordonne d'identifier ces chiens et de les éliminer. Vous avez carte blanche. Prenez ce qui vous est nécessaire et accomplissez votre devoir par n'importe quel moyen. Ce temps n'est plus celui de la demi-mesure"

Idetoshi sortit deux enveloppes cachetées de son kimono. Elles portaient le sceau secret de l'empereur.

"En cas de besoin, ces lettres vous ouvriront les portes nécessaires. A présent, partez"

Kyoshiro et Kanae saluèrent leur maître et quittèrent la chambre, l'estomac noué. Cantha était en pleine déliquescence et l'empereur avait été trahi. Le monde s'écroulait soudain, un beau matin. Shiro Tagatchi, un noblion inconnu, ennemi déclaré de l'empereur.

"Ca n'a aucun sens !" cria Kyoshiro, lancé à pleine vitesse vers l'écurie.

Kanae Sabata l'entendait pour la première fois penser à voix haute. Mais elle se tut. La fille du seigneur Odate n'en menait pas large. L'histoire ressemblait trop à un cauchemar. Elle serra l'ordre de mission dans sa main, détacha un cheval, l'enfourcha et quitta Shinghitai en compagnie de Kyoshiro.

Sans savoir de quoi demain serait fait.

Tagatchi ? kezako ? s'pas Tagachi plutot ?

Sinon, oui, first fan de Kanae

Si c'est bien Tagachi dans le jeu mais c'est un peu différent ici. Il y a une raison pour ce changement bien qu'elle ne soit pas expliquée directement.


Chapitre 3 : A l'aube d'une bascule


Le royaume se délitait et les deux assassins se sentaient douloureusement impuissants. Deux mois s'étaient écoulés sans le moindre résultat. Il fallait pourtant faire vite. Plus le pouvoir affichait sa faiblesse, plus les royaumes voisins représentaient une menace. Leur haine séculaire n'y changerait pas grand chose. Mais les chefs rebelles, insaisissables, filaient entre les doigts des envoyés de Shinghitai. Shiro Tagatchi devançait sans cesse les actions des espions et des samouraïs impériaux. Une importante partie de la population s'était rangée de son côté. Ce qui rendait la tâche bien plus délicate. Les villages respiraient la suspicion. Le climat lourd pesait sur les esprits. La mission était un calvaire.

Puis la chance finit par leur sourire. Le brouhaha des conversations d'une taverne offrit à Kyoshiro et Kanae ce qu'ils voulaient entendre. Déguisés, ils se reposaient après une longue journée de marche sous l'apparence d'un samouraï et de sa femme. Kyoshiro portait l'habit traditionnel des maîtres d'armes et Kanae un kimono de belle facture. Personne, ainsi, n'osait leur adresser la parole. Les codes de la société canthanne avaient quelques avantages. Un drôle de paysan, au fond de la taverne, racontait ses histoires grivoises à voix haute, aidé en cela par bon nombre de bouteilles de saké. Le passant ou l'étranger n'aurait rien détecté. Un mot frappa particulièrement l'oreille de Sabata.

Le tigre.

L'animal possédait une signification particulière. Il frappait les armoiries de sa famille. "Le tigre, proche, dort dans sa tanière". Ce n'était pas un dicton. Ni Kyoshiro, ni Kanae n'en avait entendu de pareil. De plus, cela ne collait pas avec le reste du discours. C'était un code. Et cet imbécile le révélait au mauvaises oreilles. Le tigre ne pouvait être qu'un chef. La tanière, un village ou bien un campement proche. Car le tigre ne chassait jamais très loin de son repaire et qui se cacherait derrière un code si ce n'est quelqu'un qui ne désire pas être trouvé ? Le tigre blanc est associé à l'automne, à l'élément Yin croissant, au blanc, à l'ouest et au métal (c'est à dire aux armes). En alchimie, il est aussi lié au plomb. Un chef de guerre se cachait à l'ouest. Limpide.

Une fois dans leur chambre, les assassins déroulèrent une carte à la recherche d'un autre indice. Ils se trouvaient à Byji, direction sud-ouest par rapport à la capitale. Plein ouest se tenait Akibaru, une station thermale. Nord-ouest, Koruzu. Kyoshiro ne comprit pas tout de suite. Kanae prit néanmoins un crayon et barra les noms des villages en ne laissant que les deux premières lettres.

BY
AK
KO

BYAKKO.

Le tigre blanc ! Un parfait triangle dont le point central équidistant des autres désignait une forêt peu fréquentée. Il s'échangèrent un sourire. L'enquête avançait enfin. La nuit fut courte, rythmée par des réveils successifs et une certaine excitation. La journée suivante permit de trouver un poste d'observation. Une halte de voyageur idéalement placée, à un lieu à peine de la forêt. Kyoshiro profita de ce bref répit pour faire le vide. Les morts pleuvraient et il devait en chasser l'idée. Kanae, elle, ne put réprimer un désagréable frisson. Une peur maligne l'assaillait sans qu'elle en connut la raison. L'étrange route emprunté par l'Histoire et l'immense portée de leurs actes futures. Oui. Jamais un assassinat n'avait autant pesé sur les évènements du royaume. Et ce n'était que le premier d'une longue série qui les mènerait à Tagatchi.

Ou à leur mort.

Chapitre 4 : La frontière du coeur et de la raison


Vous serez obligatoirement confrontés à une situation où seront mis dans la balance votre propre sens moral et l'objectif de la mission. Je ne vous ferais pas l'affront de vous considérer comme de simples exécutants. L'assassin opère seul et doit donc faire face à un immense panel d'évènements. Réaction, improvisation et analyse seront vos meilleures armes. Bien plus que vos lames. Vos capacités intellectuelles sont primordiales. Néanmoins, n'oubliez pas que vous servez un intérêt supérieur. Sachez masquer votre coeur. Les sentiments personnels superflus vous affaibliront. Il faut frapper vite, fort et sans hésitation. Gardez-ceci en mémoire comme un talisman

La forêt était une parfaite couverture, la preuve d'un sens tactique développé et dénué de doute. Une route fréquentée la longeait. L'emplacement permettait d'emprunter les voies de circulation majeures en un minimum de temps, de se mêler à la foule des voyageurs, d'endormir la méfiance des soldats incapable d'imaginer que la menace puisse être si proche. Un lieutenant de Shiro Tagatchi surveillait pourtant la région sous leur nez. Kyoshiro et Kanae prirent le maximum de précautions avant de s'aventurer sous les frondaisons denses. La visibilité était dramatiquement réduite par le nombre de troncs et l'uniformité du décor. Même un solide sens de l'orientation serait mis à mal. Le sol était jonché d'aiguilles de pin et de branches sèches. Ils ne purent s'empêcher d'admirer l'ingéniosité de leurs adversaires. Exceptionnel... L'élite restait l'élite. La progression fut lente mais rien n'indiqua la présence des deux envoyés de Shinghitai. Sabata lutta contre le sentiment de malaise contractée la veille. Une pointe douloureuse dans l'estomac qu'elle n'avait pas ressenti depuis longtemps. Kyoshiro s'enquit plusieurs fois de sa santé ou de son niveau de concentration. Elle le repoussa à chaque fois. Sans ménagement. La compassion de ce paysan pouvait être insupportable.

"Mêle toi de tes affaires !"

Kanae savait qu'il continuerait de l'observer en silence. Ce crétin faisait du sentiment. Un assassin soucieux de son prochain... ridicule !

Puis la forêt s'estompa. Les arbres s'espacèrent et finirent par dessiner une cuvette, comme l'oeil d'un cyclone. Un vaste espace entouré par une mer de conifères. Là, un petit village s'était construit. Quelque chose de très simple, toutefois étonnement évolué. Des paysans dans de petites parcelles de légumes ou de céréales, des femmes et leurs enfants, des samouraïs à l'entraînement, des archers, des gardes. L'ennemi forçait le respect. Mais cela ne suffirait pas à protéger le chef. Il ne se donnait même pas la peine de se cacher. Une maison plus grande que les autres se détachait du reste. Les tueurs firent le tour du village. Il était plus aisé de rentrer du côté fermé de la cuvette. La falaise formait une barrière naturelle et agissait inconsciemment sur le niveau de vigilance des gardes. Ils craignaient plus une armée que deux ninjas. Or, aucune troupe n'avait la possibilité de s'approcher par l'arrière. Kanae voulait en finir au plus vite. Chasser ce poids. Ils occirent trois gardes en patrouille. Trop dispersés pour être efficace. Une aubaine. Pourtant, l'amateurisme en matière de protection inquiétait Kyoshiro. Avaient-ils tellement confiance en cette cachette ? Impossible que le cerveau à l'origine de cela puisse commettre une telle erreur. Ce qui ne signifiait qu'une chose...

Leur venue était programmée.

Kanae rentrait déjà par une fenêtre. Maudit soit son empressement ! Kyoshiro sprinta à sa suite. Il bondit par-dessus la rambarde de la promenade extérieure et se jeta à travers la fenêtre. Il se réceptionna. Kanae se tenait debout, les yeux grands ouverts, masque abaissé. Elle tremblait. Un homme d'une trentaine d'années leur tournait le dos. Quand il se retourna, la jeune femme eut un soubresaut qui fit sursauter son coéquipier. Qu'est-ce que...? L'homme avait des cheveux blancs courts, un vaste sourire mangeait son visage et ses yeux étaient étrangement sereins.

"Bienvenue, petite soeur. Je t'attendais"

son malaise s'explique maintenant

Un malaise pas prêt de retomber... je me rends compte que les premiers chapitres sont bien différents des premiers. Ca mériterait presque une refonte mais bon, pas le temps. Faut d'abord que je boucle le prologue de ma saga vampirique.


Chapitre 5 : Mise en abîme


Kanae ne bougeait plus. Elle fixait l'homme avec un mélange de peur et d'effarement. Kyoshiro n'y comprenait rien. Pourquoi hésitait-elle ? D'ordinaire si arrogante et si froide... qu'était-ce donc que ce regard ? Et puis vint cette phrase prononcée avec légèreté et qui pourtant contenait leur avenir.

"Bienvenue, petite soeur. Je t'attendais"

Petite soeur... attendais... La cible faisait partie de sa famille. Et il avait anticipé la venue des assassins. La situation avait tout du cauchemar et Kyoshiro aurait donné cher pour se réveiller en sueur, sur sa couchette, là-bas à Shinghitai. Certains moments passés lui revinrent en mémoire. Il connaissait ce type. Kanae lui en avait déjà parlé. Il se nommait Oryu Sabata, fils aîné du clan et héritier des terres. Un gamin très doué, révélant des capacités étonnantes dès son plus jeune âge. D'après Kanae, il était sorti décoré de l'académie militaire à l'âge de 16 ans. Un record inégalé dans l'histoire de Cantha. Un enfant puis un homme mystérieux. Impossible à percer, constamment dissimulé derrière un sourire innocent. Un modèle pour sa soeur et la fierté de sa famille. Il se tenait à moins de cinq mètres, détendu. Pas une once d'inquiétude alors que Kyoshiro pouvait lui trancher la gorge sans qu'il fasse un mouvement. Mais le pire, ce fut ce que Odori lut dans les yeux rieurs d'Oryu. Il y discernait nettement une invitation. Une invitation à essayer.

"Grand frère ! hurla Kanae, preuve qu'elle perdait la plus élémentaire des prudences. Grand frère, que fais-tu ici ?"

L'aîné des Sabata eut un étrange petit rire.

"Voyons, Kanae. Ne joue pas les idiotes. Tu sais très bien pourquoi je me trouves dans cette pièce et pourquoi ton ordre est de me tuer"
"Non... fit-elle en pleurant. Non, je ne sais pas. Je ne comprend pas"
"Je suis commandant en second de l'armée rebelle. Je suis le bras droit de Shiro Tagatchi et donc votre cible prioritaire"

Encore ce sourire. Cette insupportable preuve de confiance. Le doute sur vos propres capacités. La crainte de voir quelque chose surgir à tout moment.

"Comment peux-tu m'annoncer une chose pareille !? Pourquoi as-tu fait ça... pourquoi me forces-tu à te tuer... pourquoi..."
"Ah la la, petite soeur. Tu ne changeras jamais"

Kyoshiro posa genoux à terre et resta à l'écart. D'abord parce que cela lui sembla la seule chose à faire. Ensuite parce qu'il était étranger à ce qui se jouait. La Kanae dont les larmes roulaient jusqu'à la pointe du menton sur sa peau satinée, Kyoshiro ne la connaissait pas. Ce n'était pas celle qu'il côtoyait à Shinghitai. Il ignorait tout autant les liens affectifs en vigueur. Il était condamné à regarder, que cela lui plaise ou non. Son coeur se serra. La lèvre inférieure saigna, mordue par une mâchoire crispée à l'extrême. Ses phalanges blanchirent. La jeune femme en pleurs était une étrangère mais il savait au moins une chose d'elle. Un sentiment qui s'imposa de lui-même. Elle ne tuerait pas Oryu Sabata, lieutenant du traître Tagatchi. Ils n'accompliraient pas la mission.

Et ils le payeraient de leur vie.

Chapitre 6 : Mémoires, première partie


Le jeune fille courait de toute la force de ses petites jambes afin de remonter l'allée centrale du jardin. C'était le printemps. Des carrés de pelouse symétriques s'étendaient de part et d'autre, plantés de cerisiers en fleurs dont les pétales volaient au gré du vent. Un grand chien la suivait, vif et puissant. Il tournait autour d'elle avec la joie d'un ami et la vigilance d'un protecteur. La petite avait rajusté son kimono à la va-vite. Les cheveux ébouriffés, elle rayonnait du haut de ses sept ans.

La demeure familiale se dressait de plus en plus proche. Un domaine immense dont son père avait hérité au titre de fils aîné comme son père avant lui. Les terres leur appartenaient depuis plusieurs générations. Elles avaient prospéré sous leur domination, parfois au prix de guerres sanglantes. Un domaine immense. Pratiquement une province à lui seul. Mais pour le moment, la jeune fille n'en voyait que l'entrée. Un porche de dix mètres sur dix coupé en son centre par l'allée autour de laquelle couraient les ailes du bâtiment. L'allée se terminait par quelques marches. Le passage sous le porche se faisait donc surélevé par rapport au sol. Elle vit en premier son père en habit de cérémonie, kimono blanc et ample manteau rouge frappé des armoiries du clan : une branche de cerisier. Il était si fier. Droit, le regard aussi dur et perçant qu'à l'habitude. Un homme juste aux accès de tendresse rares. Elle avait appris à les considérer comme un bienfait fugace, doté d'autant de plus de valeur qu'ils n'intervenaient jamais au moment voulu. Ses cheveux noirs étaient noués par un ruban blanc. A côté se tenait sa femme, une belle et frêle créature infatigable de générosité et d'attention. Bien qu'en apparence, elle semblât effacée, sa tranquillité était un véritable socle pour son mari. La petite fille l'ignorait bien sûr. Ses parents incarnaient son univers. Malgré cela, une autre personne possédait plus d'importance encore. Son frère. Un jeune homme discret au sourire inaltérable. Que de temps passé avec lui, à jouer et à rire... une figure divine. Un modèle absolu et un repère inébranlable.

"Grand frère !" fit-elle en arrivant près des marches.

De sa démarche maladroite, elle grimpa les escaliers et manqua tomber. Elle parvint néanmoins au milieu du cercle et agrippa le manteau de son frère, se serrant contre ses jambes en riant. Il se mit à genoux puis posa une main douce sur la tête de la petite fille. Ses longs doigts coururent dans la chevelure emmêlée. La gamine réprimait plusieurs frissons avec un plaisir évident. Le sourire de son frère... elle l'adorait. C'était un sourire rassurant. Sa mère souriait aussi. Son père ne laissait rien transparaître mais elle savait déchiffrer ce visage fermé. Un léger relâchement des sourcils en disait plus que cent discours.

"Où vas-tu, grand frère ?" demanda-t-elle de but en blanc, armée de l'insouciance des enfants.
"Je m'en vais" répondit-il, conscient que mentir était inutile.

La petite fille eut un mouvement de recul. Elle ne riait plus. Le sourire s'était effacé.

"Hein ? Où ça ?"
"Loin, petite soeur. Loin et longtemps"
"Pourquoi ?" cria-t-elle.

Elle regarda son père, sa mère avec anxiété. Pour eux, cela semblait normal.

"Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?" ne cessa-t-elle de hurler.

Dis-moi que c'est une blague, hein grand frère ? Une mauvaise farce... Mais celui-ci ne prononça pas un mot. A la place, la main paternelle se posa sur la petite épaule.

"Allons, tiens-toi correctement. Je n'accepte pas que ma fille ait un tel comportement. Je ne t'ai pas élevé pour les larmes !"
"Grand frère..." pleurnichait-elle.
"Tiens-tu à laisser cette image de toi à ton frère avant qu'il s'en aille ?"

La phrase eut l'effet d'un coup de poignard. C'était une enfant. Elle comprit cependant, de manière intuitive, que le destin s'était mis en marche. Il s'en allait et pleurer ne le retiendrait pas. Les bons moments touchaient à leur fin et une nouvelle période allait leur succéder. Elle se frotta donc les yeux, renifla aussi fort qu'elle le put puis elle salua son frère selon le rite des adultes. Elle se pencha avec déférence, les bras le long du corps.

"Bon voyage, nii-san"

Il la salua à son tour et la gratifia d'un dernier sourire. Après quoi il quitta le perron en direction de son cheval. Il éperonna la monture qui partit au galop. Il disparut en compagnie de son père. La gamine regarda les deux ombres décroître dans un nuage de poussière, blottie contre sa mère.

"Grand frère..."

Elle ne devait plus le revoir. Cinq années plus tard, les portes de Shinghitai s'ouvraient.

Chapitre 7 : Inexorable


Kyoshiro eut une brève bouffée d'angoisse qu'il réprima violemment grâce à son entraînement psychologique. Peut-être la plus grande aide que les huit années de formation pouvaient lui apporter à l'instant présent. Il prit une profonde inspiration. L'inéluctabilité de ce qui allait suivre écrasait sa volonté. Bouge ! Fais quelque chose ! Mais il demeurait immobile. Quelque part, la résistance s'avérait vaine. Tout cela était juste trop parfait. Kanae pleurait. Fin du conditionnement mental. Il avait suffi d'une personne pour briser le fruit de tant d'années. La seule et unique personne qui pouvait la mettre à terre sans sortir son sabre. Alors que devait-il faire ? Sortir son sabre et tuer ce gars sous les yeux de Kanae ? Les tuer tous les deux ? Abandonner ?

Oryu prit sa soeur dans ses bras. Il la consolait. Son sourire... ce sourire obsédant ne cessait d'hanter Kyoshiro qui n'y voyait que le venin du serpent alors que Kanae aurait probablement donné sa vie pour lui. Simple question de perception ? Si l'un d'eux avait tort, c'était Kyoshiro. Oryu et Kanae étaient frère et soeur après tout. Pourtant, il n'arrivait pas à imaginer une quelconque véracité derrière ce sourire. Et la jeune Sabata ne connaissait son frère qu'à travers un prisme d'enfant vieux de treize ou quatorze ans. Qu'importe. Les dés étaient jetés. Kanae posa ses mains sur les joues d'Oryu et prononça les mots fatidiques :

"Je suis avec toi, nii-san"

Le piège venait de se refermer. La trahison de Kanae Sabata avait été aussi facile à lire pour eux qu'un livre ouvert. Si Tagatchi était capable de s'entourer de lieutenants avec un tel génie, l'empire et ses luttes intestines ne tiendrait pas le choc. Oryu aurait été un futur dirigeant du pays. Il aurait occupé un poste important de l'administration impériale. Son lien de parenté lui permettait de contrecarrer les plans de Shinghitai avec une efficacité diabolique. Kanae était un assassin d'élite. Sa trahison allait provoquer d'immenses remous. L'école se scinderait en deux. Kyoshiro lui-même ne savait plus quoi penser. Il ignorait les motivations de Shiro Tagatchi et à vrai dire, il n'avait pas à s'en préoccuper. L'intérêt de l'Empereur primait sur la justice. Il rentrerait à Shinghitai. On l'interrogerait. Il avouerait tout et le Maître le renverrait assassiner Kanae. Il doutait en être capable. Et s'il l'était, il n'accepterait probablement pas de le faire. Ce qui serait considéré comme un nouvel acte de trahison. L'école perdrait sa crédibilité, l'empereur exigerait des têtes et Shiro serait débarrassé de sa principale menace.

Le jeune paysan dut se retenir pour ne pas crier. L'élément le plus important était le suivant : les mesures de rétorsion à l'encontre des criminels de classe 1. Sa famille payerait avec lui. L'idée provoqua un subit accès de rage. Kyoshiro plongea son regard dans celui d'Oryu. Il sortit son sabre et se jeta en avant. Au moment où la lame allait s'abattre sur sa cible, elle en heurta une autre. Kanae l'avait paré. Prévisible. Elle était redevenu froide et implacable.

"Tu n'en feras rien" fut la menace qu'elle proféra d'un ton calme.

Kanae... es-tu aveugle à ce point ? Kyoshiro recula. L'envie de tuer cet homme insondable le consumait. Oryu repoussa sa soeur.

"Grand frère ?"

Il se tint à disposition de son adversaire, debout, en position neutre. Kyoshiro n'hésita pas. Il se lança, fort de sa vitesse et de sa précision, celle qui avait ôté la vie tant de fois. Un mouvement quasi-imperceptible pour un oeil lambda. La lame pointa vers la gorge d'Oryu dans un effort désespéré d'anéantir ce sourire. Mais la gorge se déroba en une fraction de seconde. Kyoshiro sentit le fer lui mordre le ventre. Le sang gicla, éclaboussa le parquet. L'assassin s'effondra. Tout devint blanc puis noir. Il n'avait rien vu. Rien que la douleur.

Rien que l'échec et l'inévitable marche en avant qui s'amorçait.

Trahison prévisible, les liens familiaux dans cette société dépassant toute autre forme d'affection ou de loyauté. Kanae me plait encore plus maintenant

j'ai relevé dans le chapitre 6 quelques détails :

« Un domaine immense que son père avait hérité au titre de fils aîné comme son père avant lui. »
Je trouve la formulation maladroite. J’aurais plutôt écrit :
« Un domaine immense que son père avait hérité en tant que fils aîné, et qui se transmettait de génération en génération. »


« Bien qu'en apparence, elle sembla effacée, sa tranquillité était un véritable socle pour son mari. »
Il me semble que la forme « qu’elle sembla » ne s’écrit pas ainsi au passé simple, il s’agit d’un imparfait, et donc ça serait « qu’elle semblât ». De plus la phrase entière est à l’imparfait. Fais-je fausse route ?


Enfin, fin du chapitre :

« Cinq plus tard » => « Cinq années plus tard »


sinon, je comprends pourquoi tu considères que c'est ta pièce maitresse sur l'univers de GW... Tout est dans ce récit, c'est un vrai bijou. Bravo encore (oui je sais je me répète).

Et ce n'est pas ma pièce maîtresse tous récits confondus

Merci pour tes remarques :

1/ Je peux me tromper mais je trouve ma forme valable. Par contre, tu m'as permis de voir que je m'étais planté ailleurs. "que son père avait hérité" n'est pas juste, il fallait que j'écrive "dont son père avait hérité".

2/ Très juste, je ne m'étais pas rendu compte qu'il s'agissait d'un subjonctif.

3/ Oups...

Pour ta peine, voici la suite !

Chapitre 8 : Le précipice


Il ouvrit les yeux et contempla longuement le plafond, la douce lumière qui dansait au rythme des vaguelettes. L'étang au-dehors réfléchissait les rayons du soleil. Une figure fermée l'observait intensément. Des pupilles de glace. Futori Aima...

"Que s'est-il passé ?" demanda le blessé.
"On t'a retrouvé gisant au bord d'une route. Dans un sale état je dois dire. Tu peux remercier notre équipe de soin. Elle a accompli un vrai miracle"
"Je jurerais déceler du soulagement dans ta voix"

Le ton était sarcastique mais pas méchant. Détaché pour être exact.

"Tu es un bon élément. Il aurait été dommage de te perdre" répondit Futori.

Ce dernier se leva et quitta la pièce. Avant de disparaître, il posa une main sur l'encadrement de la porte puis se retourna :

"Tu n'es pas sauvé pour autant. Tu devras répondre de ton échec devant le Maître"
"Je sais..." souffla Kyoshiro.

Son ventre lui faisait un mal de chien. Il avait cru mourir lorsque la lame d'Oryu avait déchiré son plexus avec une rapidité inconcevable. Et Kanae ? Etait-elle une ennemie à présent ? Le garçon ferma les yeux et se laissa dériver. La fatigue le fit sombrer dans l'inconscience.

Plusieurs jours passèrent. La plaie cicatrisait vite grâce aux efforts du corps médical. Leurs techniques étaient tout bonnement impressionnantes. Finalement, Kyoshiro put se remettre à marcher. Quelques mètres en plein jour, appuyé sur une canne ou sur l'épaule d'un infirmier. Sa convocation tomba deux jours après. Il fut conduit devant le Maître où il dut se tenir droit malgré la douleur.

"Maître... " salua-t-il.
"Kyoshiro Odori, je t'ai confié une mission voilà deux mois. Non seulement tu ne m'apportes aucun résultat mais tu reviens à moitié mort et seul"

Implacable Yaguma comme à son habitude. Le jeune homme n'avait de plus pas la force nécessaire pour soutenir le regard inquisiteur de son Maître.

"J'implore votre pardon et je suis prêt à payer le prix de mes erreurs. Je vous ai déçu"

Idetoshi sembla se détendre. La réponse le satisfaisait. En jouant franc jeu, Odori affirmait sa loyauté et sa force de caractère.

"Je veux tout savoir"

Alors il lui raconta ce qu'il savait. Leurs recherches infructueuses, la découverte dans la taverne de Byji, l'étrange forêt, le village caché. Et cet homme, Oryu Sabata, frère de Kanae Sabata et bras droit de Shiro Tagatchi. Le sentiment de malaise qu'il exhalait. Son excellence au combat. La trahison de sa coéquipière, si minutieusement programmée. Yaguma l'écouta sans l'interrompre. Quand ce fut fini, le Maître déclara :

"J'ai sous-estimé l'adversaire. Votre échec est en partie le mien (et sa voix était douce, rassurante). Cependant, vous avez fait preuve de négligence. Pénétrer ainsi chez l'ennemi fut une grave erreur. Je te pardonne. En revanche... "

Idetoshi Yaguma se mit debout. Il dégageait une puissance incomparable, une unité du corps et de l'esprit que Kyoshiro n'avait observé chez personne d'autre. Il lui parut soudain évident que la Maître put l'écraser d'une main, comme un insecte. La sueur courut, désagréable, sur son front. La chaleur de la pièce était éprouvante. Il garda une attitude digne.

" ... en revanche, je ne tolèrerais pas la moindre trahison !"

Le dernier mot roula comme un coup de tonnerre. Un son vif qui s'infiltra dans l'esprit d'une jeune homme, obligé d'étouffer un gémissement. Il connaissait la suite. Il ne la connaissait que trop bien.

"Futori commandera un groupe d'exécution. Il partira demain aux premières lueurs du matin. Repose-toi, jeune Odori. Elle payera pour vous deux. Si tu ne peux pas vivre avec ce poids, je te prête mon poignard"

Yaguma sortit une lame courte finement ouvragée et la jeta aux pieds de Kyoshiro qu'une sévère montée de bile maintenait la bouche serrée. Les larmes étaient proches. Jusqu'à présent, la famille et la prétendue justice de ses missions l'avaient aidé à repousser le remord. Mais là, c'était plus qu'il ne pouvait supporter. Au prix d'un effort désespéré, il parvint à repousser l'arme et à ravaler l'humeur.

" Je... prononça-t-il difficilement, je ne puis mourir maintenant"
"Fort bien. Profite de ta convalescence. Je ferais à nouveau appel à tes services en temps voulu"

Sur un ultime révérence, il sortit. Il courut dans les jardins, hors de portée des apprentis et assassins attitrés qui prirent l'apparence de démons ignobles. Il tomba derrière à genoux au milieu de buissons en fleurs et vomit avec violence. S'il laissait Kanae mourir, sa famille vivrait. S'il laissait Kanae mourir...

Jamais il ne trouverait le repos.

Chapitre 9 : Mémoire, deuxième partie


Le gamin s'écroula, le visage en sang. Il était allongé dans la poussière sans possibilité de se relever. Trois autres gamins se moquaient de lui. A l'abri d'une arrière-cour, le petit garçon était un jouet entre leurs mains cruelles. Curieusement, il n'avait ni envie de se battre, ni envie de fuir ou de crier. Cette résignation faisait partie intégrante de lui autant qu'elle le mettait à la merci de ses bourreaux, car l'inaction, bien loin de les décourager, leur laissait les mains libres. Après tout, que pouvaient-ils faire de plus ? Kyoshiro naviguait au bord de l'inconscience. Son nez avait cessé de lui faire mal. Il respirait à peine et ne sentait pas les particules de terre lui emplir les narines. Dans le village, il passait pour une poule mouillée. Forcément, un gosse qui baisse la tête et ne prononce pas un mot devient une attraction pour les brutes. Bien sûr, les adultes criaient. Bien sûr, ils interdisaient au enfants d'entrer en contact. Mais on ne pouvait pas empêcher un gamin de sept ans de prendre l'air. Si tu ne sais pas te défendre seul, tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même, lui avait dit son père. Kyoshiro respectait ces paroles. Il ne voulait pas se battre. Voilà tout. Cela ne servait à rien. Cela attisait les rancoeurs, développait la haine, formait à la délinquance. Au moins, se disait-il, pendant ce temps-là les autres ont la paix...

Drôle de pensée dans une tête si jeune. Ses parents avaient cessé de chercher une explication à ce caractère distant et réfléchi. La perpétuelle sensation d'ennui qu'il dégageait leur pesait quand même. Kyoshiro subissait quelques assauts pas toujours justifiés. Peu importe. Comme à son habitude, il courbait l'échine, attendant que l'orage passe. Sa mère aimait à raconter que, bébé, il ne braillait pas. Enfin l'histoire pouvait tout aussi bien relever du mythe. A ce stade, l'envie de penser était plus importante que la réalité des choses. Le petit Odori n'était pas considéré comme une anomalie mais plutôt comme un curiosité. Un môme silencieux et poli qui ne court pas partout. En fait, le problème venait de son implication dans la vie quotidienne. Kyoshiro aidait. Il était disponible. Mais jamais enthousiaste. Pourtant, quand ses deux frères moururent dans un tragique accident, il ne resta plus que lui pour soutenir la famille.

Personne ne sut si la poutre avait chuté accidentellement ou si quelqu'un avait délibérément omis de vérifier les attaches. Les Odori n'étaient pas appréciés de tous. Les querelles de familles traînaient parfois pendant plusieurs centaines d'années. Un différent pour un arpent de terre ou une poignée de riz suffisait à alimenter une rancoeur indéfiniment. Les Goro furent soupçonnés. Rien ne fut prouvé. Cela n'avait finalement pas beaucoup d'importance. L'important fut qu'à partir de ce moment-là, Kyoshiro changea.

Il se mit à rayonner. A parler. A vivre. Au contraire de son père et de sa mère. Il s'activa pour trois. Les petites frappes essayèrent plusieurs fois de le soumettre, comme avant. Mais elles n'avaient plus d'emprise. Kyoshiro se lia d'amitié avec un vieux prêtre, gardien du temple local. Le moine lui enseigna plusieurs techniques d'arts martiaux très simples mais que le garçon répétait sans cesse. Le temps passé à s'entraîner valait celui passé à entretenir la maison ou à planter et récolter le riz.

Huit années s'écoulèrent. Alors qu'il perfectionnait ses mouvements dans une clairière, il fut interrompu par le bruits de multiple sabots foulant le tapis épais de feuilles. Un groupe de cavaliers s'arrêta non loin. L'un d'eux était impressionnant. Un homme de forte stature au regard plus profond que les abysses. Il s'approcha de Kyoshiro, casque sous le bras. Cet homme était un samouraï. Non, il était bien plus... l'adolescent avait eu une pensée ce jour-là.

Son âme l'enveloppe comme une armure.

Même maintenant, aucune réflexion n'avait mieux défini l'homme qui l'avait fait entrer à Shinghitai. De ces êtres qui d'une parole parviennent à vous convaincre de mourir pour eux.

Idetoshi Yaguma.

Chapitre 10 : Seul, que peux-tu faire ? Seul, que peux-tu dire ?


Il n'était que cinq heures du matin. Le soleil dessinait à peine un mince arc de cercle orangé au-delà des montagnes. La fraîcheur nocturne s'estompait doucement. Quelques rares âmes dans la cour glissaient au-dessus de la terre poussiéreuse, en quête d'activités. Le peu de lumière permettait néanmoins de distinguer les fins nuages présents au sein des cieux. Une journée neuve. Presque semblable aux autres. Kyoshiro crut discerner la silhouette massive du maître, alors qu'elle regagnait le bâtiment central. Un instant, il s'arrêta pour fixer le panneau et entendre résonner le léger bruit de choc au moment de la fermeture. Même si la peur se disputait à l'indécision, une pointe de colère naissante agitait ses tripes. Kyoshiro restait immobile au milieu de nulle part. Ses pensées bouffaient l'environnement, arrachaient une tenture pour en poser une autre.

Il se réveilla soudain. Une absence... une seconde avait dû s'écouler. Elle en paraissait des centaines de milliers. Kyoshiro finit par reprendre la direction qu'il suivait au départ. La porte était entrouverte. Une bougie éclairait faiblement les lieux. Au centre, Futori rassemblait ses affaires. Odori hésita à parler. Il ne savait pas comment s'y prendre.

"Alors tu es faible à ce point ?" le surprit Aima.

L'homme au regard de glace ne s'était pas retourné.

"Tu espère m'arrêter peut-être ?"
"Je..."

Aima ferma son sac et se planta face à Kyoshiro.

"Shinghitai n'a que faire d'assassins incapables d'assumer leur rôle et la portée de leurs actes" fit-il, plein de venin.
"Evidemment, pour toi tout est toujours aussi simple..." souffle le jeune homme.
"Sabata est une traîtresse. Une ennemie. Je protège les intérêts de mon maître, de l'école. De Cantha. Il n'est pas de puissance sans la possibilité d'imposer sa vision du monde. Rechigner ne mène à rien"
"Rechigner ? Tu n'as donc pas compris de quoi il est question ?"

Futori émit un sifflement de désapprobation. Il empoigna le sac et sortit de ses appartements. Kyoshiro l'agrippa.

"Tu ne parles que de manque de volonté ! A aucun moment tu ne t'interroges sur le bien-fondé de tes ordres ! Je comprend pourquoi le maître t'a choisi pour cette mission..."
"Qu'est-ce que tu dis ?!"
"Je dis que tu assassinerais ta propre soeur sans un remord"
"Tsss... je n'ai pas de soeur"

Futori se dégagea. Peu de temps après, plusieurs assassins le retrouvèrent aux abords de l'écurie. A six heures, ils chevauchaient tous à la recherche de Kanae.

Dans l'après-midi, Kyoshiro se chargea de l'entraînement des élèves. Le premier à se présenter se nommait Ariaku. Un bon élément. Les deux hommes se mirent en place. Kyoshiro fit signe à l'apprenti de lancer le débat. Estocade fine mais légèrement trop lente. Kyoshiro pivota et tenta une approche simple. Ariaku la para avec assurance. Bon point. Puis l'instructeur entama une manoeuvre plus complexe. L'élève anticipa pour se placer dans l'angle mort. Les lames des deux poignards s'entrechoquèrent. D'ordinaire, Kyoshiro aurait été ravi de la performance du jeune apprenti. Mais aujourd'hui, chaque contre aggravait la douleur causée par la pointe de fer forgée qui lui vrillait les entrailles. Chaque parade lui remémorait son bref combat contre Oryu. Ses dents grincèrent. Les veines saillirent sur avant-bras. Kyoshiro accéléra la cadence. Plus vite, plus vite. Les mouvements de test se transformèrent en ballet de mort. Ariaku ne put rien.

Lorsque l'assassin reprit le contrôle, son élève gisait au sol. Gravement touché. Tous les apprentis le regardaient avec une expression d'horreur. Ariaku fut emmené par les médecins. La foule se dispersa, remplissant la cour de murmures accusateurs, de yeux méfiants. Kyoshiro retint ses larmes. La folie semblait si proche... Il n'avait plus le choix. S'il voulait faire taire ce sentiment et agir sans pour autant mettre en danger sa famille par un parjure, il devait franchir la ligne maintenant.

Yaguma méditait dans l'obscurité de son sanctuaire. Kyoshiro entra, à mille lieux de se soucier de la moindre règle. Il se jeta à genoux et supplia le maître :

"Je vous en prie, enseignez-moi les techniques interdites ! Si je ne puis me résoudre à tuer Kanae Sabata, laissez-moi la ramener à la raison. S'il le faut, je vaincrais l'ennemi ! Je ramènerais Tagatchi devant vous si vous accordez votre pardon à Sabata !"

Idetoshi se releva.

Son âme l'enveloppe comme une armure...

"Qu'est-ce qui te fait croire que tu en as la capacité ?"

Une simple question visant droit à l'essentiel.

"La certitude que seule mort est une alternative. Je n'ai pas le choix" répondit Kyoshiro, une flamme intense dans le regard.

de mieux en mieux... Je sens que notre assassin va apprendre des techniques intéressantes. Mais Kanae ne sera pas restée inactive, et combattre son frère nécessitera toute la force de Kyoshiro.

Pas une seule remarque sur le texte, c'est du haut niveau, et parfaitement orchestré

Chapitre 11 : Pas après pas


Je ne peux rien faire de plus. Puisque tu es prêt à mettre ta vie en jeu, je t'ai enseigné les outils qui te donneront une chance d'accomplir ce que tu as en tête. Futori est parti devant. Ce sera donc à toi de le devancer. A présent, ton coeur te porte vers un lieu que seuls tes pieds peuvent fouler. Tu es hors de ma juridiction. Je ne t'empêcherai pas d'agir mais je ne retiendrais pas Aima. Si il se révèle plus prompt et remplit sa mission, il rentrera avec les honneurs. Si tu ramène Kanae Sabata, peut-être lui pardonnerais-je. Si vous vous opposez, le destin choisira pour nous tous. Sache que ton avantage ne se situe pas dans les maigres artifices supplémentaires fraîchement enseignés, mais bien dans la certitude que ton choix sera le bon. Beaucoup de choses découleront de ces évènements. Beaucoup. Toutefois, personne ne peut stopper la marche du temps.

Maintenant, laisse-moi te poser cette marque.

Kyoshiro passa négligemment les doigts sur la cicatrice. Un dessin gravé à même la chair. Juste à la jonction de l'épaule gauche et du tronc. Un dessin précis que la douleur rendait plus net encore dans le cerveau du jeune homme. Une petite pointe de fer chauffée en blanc. Piqûre après piqûre... La marque luisait légèrement dans l'obscurité. Elle l'irritait comme si la peau cherchait à se reconstituer malgré la brûlure. La forêt avait des allures fantomatiques. Les arbres minces s'étiraient, à peine plus foncés que le ciel. De longues phalanges décharnées chatouillant les étoiles. Kyoshiro ne parvenait pas à dormir. Il se rapprocha du feu. Bientôt, il lui faudrait s'en passer pour ne pas attirer l'attention. Où était Futori ?

Les premières lueurs de l'aube tirèrent finalement Odori d'un court sommeil sans rêve. Il n'avait aucune idée de la direction à suivre. A vrai dire, le côté vain de sa démarche l'avait frappé très vite. Il lui suffisait d'imaginer Futori Aima accomplissant sa besogne pour accélérer le pas. Les véritables raisons de cette poursuite restaient, à l'inverse, obscures. Certes, il ne supportait l'idée que Kanae puisse mourir de la sorte. Il ne croyait pas non plus à la réalité de la trahison. Oryu avait dégagé une aura si persuasive que Kanae était tombé dans un piège. Le serpent avait usé de son lien fraternel dans le but de renforcer les parois de la cage. Kyoshiro en était certain. Comment expliquer sinon la longue hésitation ? Il aurait pu agir bien plus vite. Agir et la sortir de là... En fait, l'assassin sentait ses veines bouillonner. Il sentait un murmure. Un appel. Une main posée contre son dos et un courant sous ses pieds. A force de s'interroger, il fut forcé d'envisager que l'amour avait un rôle à jouer. Ce qui le laissa interdit au beau milieu du chemin, seul et immobile, les pensées naviguant à vue. Le sentier traversait une forêt de bambous dont les feuilles voltigeaient au gré du vent pour se poser délicatement sur le sol.

Mais non, cela n'était pas la raison. Kanae possédait un charme indéniable. Une beauté vivante habitée par la flamme noire de ses yeux. Quelque chose de subtilement sauvage, guettant, louvoyant sans cesse des sourcils aux narines fines, de la pointe du nez à celle du menton, du menton aux plis des lèvres. Des mains pleines d'une maîtrise froide et un corps répondant à la plus petite injonction de son esprit. Une panthère dans un corps de fée. N'importe quel homme rêverait posséder une telle femme. Pourtant Kyoshiro décelait une étrange familiarité au coeur de ces courbes. Un mystère qui le poussait à mourir afin qu'elle survive. Car l'image de Futori n'était pas associée à la jalousie. Kyoshiro ne pouvait tout simplement pas rester sans rien faire. Et cette colère... l'assassin sortit un kunaï. Il le lança dans la foulée avec rage. La lame se ficha dans le bambou. Un mur invisible le poussait vers ce qui pouvait être un précipice.

Et c'était insupportable.

Kyoshiro arriva en ville une semaine après son départ. L'activité des rues le déchargea un peu de son fardeau. Pas pour longtemps. Dès que la paix s'installa, le mur heurta ses omoplates et le jeta sur la route. Il parvint pour la première fois de sa vie à proximité de la mer. Un mois pratiquement s'était écoulé. Un groupe de cavaliers avait été aperçu trois jours auparavant. Kyoshiro décida donc de longer la côte. Futori ne retrouverait pas trace de sa cible aisément. Le jeune homme ne nouait plus ses cheveux. La barbe lui mangeait le visage. Le manque de sommeil creusait des rides. De manière générale, il paraissait plus vieux.

Un village de pêcheur fut l'occasion d'une halte. Odori l'aperçut du haut d'une colline. Descendre prit la journée. Il passa les premières maisons au couchant. Le village possédait une taverne, très simple, dans laquelle les pêcheurs vidaient quelques verres avant d'aller rejoindre leur famille. Kyoshiro prit une bouteille de sake et de quoi faire un bon repas. Personne ne soufflait mot. Chacun observa l'étranger sans se soucier des convenances. L'assassin n'était pas le bienvenu bien que nul autochtone ne vint le déranger. Le patron lui offrit même une dernière coupe. Qu'il accepta. Puis il sortit. La nuit était fraîche. L'air saturé d'embrun avait un effet enivrant. Quelques lanternes le guidèrent à la sortie du village. Il se sentait fatigué, les jambes lourdes. Au bout de plusieurs dizaines de mètres, sa vue se brouilla. La terre s'agita au rythme des vagues. Il dut prendre appui sur une pierre. Il luttait pour ne pas fermer les paupières. Un choc soudain le fit tomber à genoux. La douleur explosa dans son crâne. Kyoshiro s'effondra tandis que l'eau battait inlassablement le rivage.

Chapitre 12 : Les frères ennemis.


Il se réveilla les deux pieds au-dessus du sol, suspendu par les poignets à la poutre de ce qui semblait être une grande cabane de pêcheur. Une table mise de côté, un bric-à-brac ahurissant de récipients, matériel, vêtement avait été entassé, transformant l'endroit en immense capharnaüm percé d'une clairière au centre de laquelle pendait Kyoshiro, torse nu, le visage encore tuméfié par le coup qu'il avait reçu sur la plage. La poussière recouvrait tout d'une couche grise uniforme. Eclairé par la lueur de quelques bougies, cinq marins l'observaient en silence. Des gaillards aux allures de pirates, tatoués pour la plupart d'idéogrammes véhiculant le courage, le sacrifice et la loyauté. La méfiance et la haine brillaient dans ces yeux. Quant à leurs habits, un patchwork chamarré de bouts de tissu rapiécés avec un certain style, ils ne pouvaient tromper Kyoshiro. Ils avaient affaire à des Luxons. Et, surtout, il ne se souvenait pas s'être à ce point rapproché de la frontière. Un des hommes se leva pour se planter devant lui. Un ours puant l'alcool mais très lucide dans ses intentions :

"Crois-moi, saloperie de Kurzick, tu vas bientôt hurler que ta mère te vienne en aide... avant cela, on a plusieurs questions"

Il s'éloigna. Kyoshiro se mordit la lèvre. S'il restait un peu plus... l'assassin fit jouer les cordes autour de ses poignets afin de dégager légèrement le droit. Il exerça ensuite son index. A présent, il s'agissait de demeurer parfaitement calme jusqu'au moment opportun. Le marin posa la première question :

"Qu'est-ce que tu fous aussi près des frontières ?"
"Je me promène au clair de lune" rétorqua Odori.

Les marins éclatèrent de rire. Le rire franc et gras des tavernes. Kyoshiro espérait attirer le type assez près. L'énerver pour qu'il vienne le frapper. L'ours ne bougea cependant pas.

"Il a du cran, le petit. C'est bien. T'es peut-être bien différent de tes culs-bénis de congénères. 'Fin c'est pas ça qui te sauvera. Qu'est-ce qui t'amène ?"
"Je parle pas à un bouffeur de poisson matérialiste plus occupé par son quota de pêche journalier que par salut de son âme"
"Sale... " éructa le gros type.

Encore un petit effort. Kyoshiro cracha sur son vis-à-vis. Le jet de salive décrivit une courbe et s'étala sur la joue de l'ours qui, lentement, s'essuya du revers de la main. Il y eut un moment de flottement. Un blanc durant lequel la fureur grimpa. N'en pouvant plus, le marin se jeta sur Kyoshiro. Précisément ce que le jeune homme attendait. Vif comme l'éclair, il pivota d'une torsion du bassin et immobilisa sa victime. Les cuisses l'enserrèrent dans un étau. Grâce au travail de son index, l'assassin coupa la corde et se retrouva perché sur les épaules du marin. L'index se positionna près de l'oeil gauche apeuré, révélant la minuscule lame dissimulée sous l'ongle. Si les témoins se demandaient régulièrement pour quelle raison l'élite masculine de Shingitai arboraient des ongles aussi longs, ils n'obtenaient jamais la réponse.

"A moi de poser les questions !" hurla Kyoshiro.
"D'accord, d'accord. Tout ce que tu veux"
"Depuis quand confondez-vous Kurzicks et Impériaux !"

Les marins eurent un hoquet de surprise puis baissèrent la tête, conscients de l'erreur. Bon sang ! Quel vent de folie soufflait sur ce village ? Même s'il avait été Kurzick, aucun lynchage ou séance de torture ne se justifiait ! L'adrénaline retombait. Les marins étaient des âmes en peine, honteuses et vidées du désir de vengeance qui les animait. Kyoshiro ne cessait d'être étonné de la manière dont les gens étaient manipulés par leurs émotions.

Au-dehors, la mer bruissait. Le murmure éternel des vagues, indifférent aux gesticulations des humains. Plus pour longtemps, pensa l'assassin. Les ravisseurs s'étaient calmés. Les Luxons passaient pour des marchands sans scrupule en Cantha. Il suffisait de prêter attention à leur regard envers la mer et l'a-priori disparaissait. Odori s'autorisa un soupir de soulagement. Un avertissement sérieux. Restait à démêler l'écheveau. Les marins avouèrent être à cran. Une rumeur s'était répandue comme une traînée de poudre sur la côte. Les Kurzicks s'apprêtaient à envahir Cavalon. Des raids avaient fait plusieurs morts. Des groupes d'éclaireurs, chargés certainement de prendre le pouls de l'ennemi. Bien que les récits divergeaient, les Luxons se retrouvaient sur un point : si la situation ne s'apaisait pas rapidement, même l'Empereur n'empêcherait pas la guerre. Ce conflit déstabiliserait le continent entier. Sans doute créerait-il un isolationnisme forcé. L'antagonisme entre Luxons et Kurzicks n'était pas neuf. Jamais toutefois, il n'avait été si dangereux.

Retrouver Kanae au milieu d'un affrontement civil serait une véritable gageure.