[One Shot] Fureur

Troisième texte court.


FUREUR


Cours. Cours à en perdre haleine. Avance sur la ligne mince de ta propre survie. Sans un regard en arrière. Une hésitation, un doute et ce serait la chute. Pourquoi rechercher le passé ? Quelle récompense en ce pays lointain où dorment tes souvenirs ? Là-bas, tu ne trouveras rien d'autre que des raisons d'échouer. Notre monde chérit ceux dont les pensées sont tournées vers le futur. Les pas doivent te porter à travers les brumes d'un avenir aux conséquences imprévisibles. Qu'importe. Elles le seront toujours. Ne t'en préoccupe pas. Forge ton corps, ton esprit et tes coups pour y répondre en toutes occasions.

Viendra le jour où tu mourras, seul, dénué du moindre ornement. Parce que les braves sont ceux qui souffrent le plus, tu ne jouiras jamais d'une quelconque satisfaction, même minime, autre que le sentiment d'accomplir ce pour quoi tu es fait. Chaque victoire est une dalle posée sous tes pieds. Des milliers seront nécessaires pour franchir plusieurs mètres. Une seule défaite signifiera ta fin. Bats-toi comme si ta vie en dépendait. Car c'est le cas. Rien ni personne ne viendra te réconforter. Tu ne pourras pas rebondir. Ici, les erreurs sont définitives. Elles ne forment pas. Elles tuent, déchirent, anéantissent, arrachent les espoirs, réduisent les âmes en miettes. Tu tombes, tu n'es pas digne. Avant que les loups n'aient commencé à se délecter de ta chair, nous aurons oublié ton existence. Si cela t'effraie, alors impose-la. Imprime-la sur nos cerveaux quitte à les détruire.

Nous ne t'offrirons rien. Tu n'as aucun droit. Même le plus rudimentaire. Manger, boire, déféquer ou forniquer te sera refusé. Tu devras l'arracher à nos griffes. Prendre nos doigts serrés et les briser. Ouvrir nos gorges. Observer le sang et l'air s'en échapper lentement. Ecrase nos vies pour affirmer la tienne. Nous sommes les barreaux de ta cage. Elle ne s'ouvrira que lorsque nous serons vaincus. Tant que nous conserverons une once d'énergie, les griffes tenteront de te prendre un bras, une jambe, un oeil. Elles fouailleront ton coeur. Coupe nos tendons ! Déboîte nos épaules ! Exhibe nos têtes ainsi que nos organes puis brûle-les jusqu'à ce que la cendre se disperse ! Et à ce moment, méfie-toi des particules chargées de haine. Elles voudront te rendre aveugles. Rentrer dans tes narines, atteindre tes poumons et les obstruer. Quand nous aurons disparu, le pire débutera. Une fois libre de tes mouvements, le danger n'aura plus de forme précise. Il surgira de n'importe où. Tu regretteras notre présence rassurante. Cette peur familière. Terrible mais discernable. L'univers te semblera trop vaste. Fourmillant de cachettes pour tes ennemis. Tu en viendras à craindre ton propre souffle. A le haïr parce qu'il affaiblit ton ouïe et qu'une seconde d'inattention peut entraîner ta mort. Que feras-tu alors ? Souhaiteras-tu notre retour ? Te laisseras-tu sombrer au fond de l'abîme dont nulle lumière ne revient ? Dans quel but ? Cesser de souffrir et rendre vain tes efforts, la douleur ressentie jusque là ? Rendre absurde la montagne de cadavres érigée entretemps ? Ils te verront. Ils sauront ces corps pourris que tu les as massacrés inutilement. Ils n'auront même pas la satisfaction d'être tombés pour une cause qui les dépasse. Ils ne seront que les malheureuses victimes d'un être faible, trop faible pour porter le poids de ses actes. Tu les rejoindras en enfer. Leurs mains te happeront, ôteront ta chair afin que tu leur ressembles, ôteront tes dents que tu ne puisses que gémir. Tu contempleras ton état lamentable. Tu hurleras d'un hurlement muet qui ne franchira jamais la porte de tes lèvres. Et ce pour l'éternité.

Il suffisait pourtant de continuer. D'occire un homme de plus. Puis le suivant. Ainsi de suite. Que ta force les fasse trembler. Qu'ils soient figés. Qu'un seul mot les tétanise. Leur montre le sort qui les attend en cas de rébellion. Que tu sois le bras vengeur, invincible devant lequel ils se prosternent. Que leur misère soit ton socle. Leurs cris ton plaisir. Leur haine ta jouissance.

Au bout de ce long chemin, tout deviendra possible. Nos fantômes ne t'effrayeront plus. Les monts sanglants cesseront de boucher ton horizon. Tes yeux se poseront sur l'absolu. Ils goûteront une ivresse qui t'appartiendras aussi longtemps que tu le voudras. Cours. Sois le le loup dans la bergerie. Sois la puissance qui viole les corps et les âmes. Ecrase la peur que nous t'inspirons par une peur encore plus effroyable. Ce destin est déjà le tien. Meurs et renais.

Et tu seras éternel. Shiro.

Le "chier, baiser" fait un peu déplacé dans un texte de cette qualité. J'ai aussi relevé une petite erreur, faute de frappe à mon avis :

"Leur montre le sort qui les attend en cas de rébellion" => "Leur montrer le sort qui les attend en cas de rébellion".

Sinon, un superbe One Shot, super bien écrit et qui laisse s'envoler l'imagination, bravo

Oui tu as raison, j'avais essayé de provoquer un choc mais finalement, ça ne sert pas à grand-chose.

Pour la phrase en revanche, elle est bonne comme elle est puisqu'elle reprend directement la structure de la précédente. C'est bien "mot" le sujet de "montre" : "Qu'un mot leur montre ce qui les attend en cas de rébellion".

Merci pour ton commentaire !

tu as raison, pas d'erreur, sorry.

bravo encore

Ffffiou... C'est prenant

Ce qui est intéressant avec ce "one shot", c'est qu'il n'y a pas vraiment de héros, ni de but. Et pourtant... On est plongé dedans dès la première phrase...
Comme quoi, des phrases courtes bien écrites peuvent avoir plus d'impact qu'une longue histoire...
Je suis impressionné

Le principal avantage des one-shot est que tu peux davantage expérimenter que dans une récit plus long. Le lecteur se sentira moins perdu si tu lui proposes une expérience courte. Le reste, c'est le coeur que tu y mets. Croire à son récit (dans le sens le vivre quand tu l'écris, pas d'approuver les idées qui y sont présentées) lui donne toujours plus de force.