Note de l'auteur : Je commence par un court texte mettant en scène mon nécromant Arkal Menos. Le titre est un hommage à l'album éponyme d'Arcade Fire. Le contenu n'a par contre rien à voir. J'ai simplement brodé à partir de l'idée de ce miroir noir.
LE MIROIR NOIR
Arkal toucha la surface du miroir. Le verre d'un noir intense réfléchissait le visage du nécromant de la même manière que l'aurait fait une dalle de pierre polie et lustrée. Au contact du doigt, l'objet eut une réaction inattendue. Une forte décharge arracha un cri à l'humain qui se dégagea aussitôt. Il grimaça. Le bout de son index était à vif. La peau adhérait désormais au verre. Le miroir ondula. Les rides concentriques se déplacèrent, traversant par à-coups la distance qui séparait le centre de la glace du trophée macabre. Telle une bouche vorace, les ondulations engloutirent l'épiderme. Arkal ne perdit pas une miette du spectacle. De fines crevasses sillonnèrent le verre. Elles pulsèrent soudain au rythme d'un simulacre de battement cardiaque. Elles rougeoyaient. La fragmentation continua tant et si bien que le verre s'effrita en minuscules fragments qui s'éparpillèrent et retournèrent à l'état de poussière comme autant de peaux mortes. Dessous était gravé la tête recouverte d'un masque d'un démon. Ainsi que le nécromant s'y attendait, elle s'anima. Le matériau qui la composait enfla. La gravure émergea, ajoutant le relief à sa monstruosité. C'était fascinant ! Le masque la privait de ses yeux et elle semblait flotter, incapable de se stabiliser, ivre de fatigue. Redoutable. La voix grave d'outre-tombe ravit l'humain.
« Arkaaaaaal... pourquoi me réveiller maintenant ? Iiiiil est trop tôt. Mon règne ne doit intervenir que dans quatre ans »
« Je suis prêt à endurer votre courroux. Cependant, vous devez être mis au courant : Abbadon a semé le trouble en Elona. Il est sur le point de briser ses chaînes »
« Aaaabbadon ? En aucun cas il ne doit s'affranchir des liens qui le retiennent dans le Royaume du Tourment ! tonna soudain la figure grotesque. Jamais ! »
Menos laissa passer l'orage. Ses oreilles bourdonnaient. Le Maître avait les accents du tonnerre et de l'éclair.
« Je le sais mais ne puis rien faire seul. Votre retour est primordial »
« Laaaa faiblesse demeure. Il est trop tôt. Ma puissance ne rejaillira qu'au bout des quatre ans restants. De plus, Aaarkal, tu n'as pas été soumis au rituel de la stase. Incapable de contrôler ta mort, mon réveil serait ta destruction. Sans successeur, notre ordrrrre serait anéanti »
« Il nous faut néanmoins trouver un moyen de vous faire revenir au plus vite. Je ne puis supporter cette charge seul. Vos prédécesseurs, quant à eux, ont tous été détruits »
Le masque s'agita nerveusement. Il se calma lentement au son de plaintes basses. Autant que faire se peut, ce visage de pierre et de verre exprimait la tristesse.
« Inutile de me rappeler de si douloureux souvenirs... » fit la voix, pleine d'un accent mélancolique qui la transformait intégralement.
« Pardonnez-moi. Le passé impose une action forte dès à présent. Il existe une alternative. Les anciens écrits me l'ont révélée ».
« Ouiiiii... soupira d'aise la voix redevenue sépulcrale. Une âme factice serait des plus appropriées. Mais où trouver l'esprit à sacrifier ? Arkal. Aurais-tu osé ? »
Le masque souriait. D'une manière ou d'une autre, il souriait, amusé par l'élégante horreur que soulevait sa question. Le nécromant dépassait ses plus folles espérances. Quel excellent Kiima il serait ! Arkal tendit une émeraude taillée d'où émanait un brouillard d'énergie dense. Des courants se déplaçaient à l'intérieur. Des tentacules noires et des faces grimaçantes composées de fumée.
« La gemme est prête. Elle prendra ma place dans le miroir, vous permettant d'en émerger et de nous guider »
« Ainsiiiii donc tu as emprisonné ton propre frère au coeur de l'artefact »
Le dernier-né des Menos ne trahissait aucune émotion. Il avait fait ce qui devait l'être. Son frère tromperait le miroir le temps qu'Abbadon soit chassé dans les profondeurs de son royaume. Arkal reprendrait ensuite la place qui lui revenait de droit pour entamer un sommeil de plusieurs centaines d'années. Durant cette longue période de gestation, l'humain se muerait en entité. Privé d'enveloppe physique, il s'emparerait de celle de son successeur qui, dès lors, intégrerait le miroir et lancerait un nouveau cycle. L'Ordre continuerait d'exister.
« Je vois la gemme maiiiiis le corps de ton cadet n'est nulle part visible » nota le masque.
« Comme vous l'avez dit, la faiblesse demeure. Isolé dans des chairs inhabitées, vous seriez amoindri. J'accueillerais donc votre âme, Seigneur V. ».
La petite pièce sombre, à peine éclairée d'un mince de rai de lumière provenant de l'entrebaillement de la lourde porte de bronze, fut envahie d'un rire exalté. Le masque s'enfonça dans le fluide que constituait la surface du miroir. Comme s'il prenait un léger élan. Il en ressortit non pas seul mais accompagné de deux longs bras maigres et osseux. Les mains acérées se posèrent sur les joues d'Arkal. Il ne broncha pas. Il plongea son regard dans celui de son maître, soudainement apparu à travers deux fentes du masque. Plus que des globes, ils évoquaient deux abîmes nourris de flammes infernales.
« Soit. J'accepte ton offre » annonça V.
Le masque se pressa contre le visage d'Arkal. La matière dont il était composé bouillonna. Elle s'introduisit par le nez, la bouche et les yeux du corps hôte. Le nécromant était agité de spasmes violents. Les mains le maintenaient cependant en place. Le phénomène dura dix bonnes minutes. Les mains finirent par se dissoudre elles aussi, parsemant la peau de gouttes épaisses qui glissèrent comme de petits tétards à la commissure des lèvres, l'entrée d'une narine ou disparurent sous une paupière. Arkal tomba à genoux. Il gémissait. Il se tenait la figure. Malgré la souffrance, il se traîna jusqu'au miroir et y plongea son bras droit, happé par le liquide visqueux. La gemme était à présent plantée. Libéré à regret par le verre, le membre se retira. La surface se recomposa, se solidifia et cessa toute activité. Arkal ouvrit un oeil.
Le portrait torturé de son frère hurlait une douleur muette.
Et lui n'était déjà plus vraiment l'homme qu'il avait été. Sa personnalité était altérée. Il servirait son maître et reviendrait ici victorieux afin de réclamer sa place. Pour l'heure, il quitta le mausolée d'un pas incertain, troublé par la puissante présence de V. Un mince interstice diffusa l'éclat du jour. Il fit briller l'inscription gravée sur le cadre de la glace :
Sorti de son cauchemar, privé du pâle reflet de la lune, le Miroir noir reflète les âmes qui lui sont données. Il ignore la fierté ou la vanité. Ne compte que la malédiction qui jamais ne sera brisée et les noms qui jamais ne seront prononcés.
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