L’éveil
Je n’ai pas ouvert les yeux immédiatement.
J’attendais. J’écoutais. J'étais entourée par le bruit.
Le bruit assourdissant d'une foule qui s’agitait. Elle grognait, riait. Elle hurlait parfois. Personne ne semblait faire attention à moi, mais moi, j'écoutais.
Quelque chose brûlait non loin, qui dégageait une fumée âcre. L’atmosphère en était pesante et la chaleur semblait accentuer la moindre des puanteurs, rendant l’air moite presque irrespirable. Je me demandais comment la foule pouvait vivre dans un endroit pareil. Je me décidais enfin à ouvrir les yeux et tournais la tête pour regarder la masse de personnes disséminées autour de moi.
J’étais dans une immense pièce caverneuse, que des torches et des brasiers éclairaient de leurs lueurs vacillantes. Le rouge dominait.
La foule n’avait pas remarqué mon réveil, j’en profitais pour observer plus attentivement. Dans toute la pièce, les corps s'agitaient, lascivement ou violemment, souvent dénudés, parfois meurtris. Le claquement d'un fouet était suivi d'un râle d'agonie, un cri d'extase faisait suite à un écœurant bruit d'os brisé. Cela sentait le sang, la sueur, le sexe…
Au milieu de la salle, un groupe d'hommes se battaient. Plus loin, un cercle s'était formé, entourant une scène indéterminable mais qui semblait attiser la folie de ceux qui la regardait.
Au fond de la pièce, face à moi, un homme psalmodiait derrière un autel, les bras tendus vers le ciel, exalté par sa foi. L'expression de son visage semblait refléter une extase indicible. Ou bien était-ce de la démence ?
Mon regard se posa alors sur l'autel. Je n'arrivais pas à en distinguer le dessus, mais il me sembla voir quelque chose en pendre. Quelque chose qui ressemblait a des viscères, dégoutantes de sang. Le liquide suintait lentement jusqu'à une petite dépression dans le sol, formant une flaque brunâtre. Les vaguelettes formées par chaque goutte semblaient se propager au ralenti, rendant le mouvement captivant. Hypnotique…
Devant la marre de sang, des personnes s’agenouillaient et priaient. Leurs mélopées étaient aussi envoutantes que le mouvement du sang, elles semblaient exsuder une dépravation innommable…
Je parcourais tout ceci des yeux, la plus profonde incompréhension habitant mon regard.
Alors je le vis.
Une personne sortant du lot. Un homme étrange. Ce n’était pas vraiment un homme, il avait un visage… différent. Son corps était recouvert d’un épais pelage, blanc comme la neige, parsemé de taches ocre indéfinissables. Sa tête était ornée d’une coiffe à corne et à dents. Il avait du tuer une énorme bête et avait décidé d'en porter la carcasse. Une sorte de trophée peut être. Cet homme me regardait, il avait remarqué mon réveil. Je pense même qu’il ne m’avait pas quitté des yeux, tout ce temps.
Mais où étais-je ?
Il s’avança vers moi. Sa démarche féline, précise, et posée respirait la puissance et la maitrise. Cela ne m’effraya pas. Arrivé face à moi, il me fixa de ses yeux, rouges comme les flammes de ce temple. Ses canines, qui paraient un sourire aussi méprisant que sadique, étaient aussi blanches que son pelage. Il se baissa vers moi, ce qui fit tinter le grelot qu’il portait au cou. Il approcha alors son visage du mien et m’adressa la parole, d'une voix rauque et envoutante :
Petite, je vais m’occuper personnellement de ton cas. C’est Rushu qui t’a envoyé à nous, et il ne sera pas déçu du sort que je te réserve. Il termina sa phrase avec un rictus plein de machiavélisme et me prit sur son épaule, comme un vulgaire morceau de viande. Je ne me débattis pas. Je ne comprenais pas qui il était, ce que j’étais et ce qui allait m’arriver.
Il marcha vers la sortie, calmement, ignorant ou méprisant la foule. Je levais la tête et je fixais le prêtre. Il n’était pas en train de prier. Une femme était accroupie devant lui et s’afférait à lécher ce qui lui sortait de son pantalon.
Je me nomme Facipoly. Tu es arrivée en plein rituel… Ne regarde pas ces mascarades, fillette. Tu risquerais d’y perdre la vue. Tu regarderas ce que je te dirai de regarder et tu feras exactement ce que je te dirai de faire. A partir de maintenant, je suis ton maître.
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